Ce constat part d’un phénomène paradoxal : les établissements financiers souffrent d’un mal bien connu dans d’autres industries. Alors qu’ils peuvent contribuer à l’essor économique d’une nation (création d’emploi, financement des acteurs innovants, soutien des tissus économiques locaux), être de véritables facilitateurs de la mondialisation (la banque HSBC a été créée pour faciliter le climat des affaires entre l’Europe et l’Asie) ou encore s’illustrer comme le bras armé des politiques publiques de relance en temps de crise sanitaire, ces établissements font face aujourd’hui à des problématiques nouvelles : ils n’attirent plus les talents, se font disrupter par des acteurs différents et peinent à séduire les investisseurs en bourse.
Prenons l’exemple d’un autre secteur. Si l’on se penche sur la stratégie d’Alexandre BOMPARD, PDG du géant européen Carrefour, on constate qu’elle n’est en rien différente de celles de nos patrons de banques françaises :
- Simplifier les processus pour gagner en agilité et se recentrer pour obtenir une meilleure expérience client ;
- Gagner en productivité pour s’offrir les marges de manœuvre nécessaires à la transformation ;
- Développer un univers omnicanal pour faire face aux plateformes en ligne ;
- Monter en gamme.
Et c’est bien là le problème : la maturité des banques vis-à-vis du digital n’est souvent guère plus avancée que celle des acteurs traditionnels de la grande distribution, quand bien même leur avenir en dépend. Notons par ailleurs qu’en plus de ces difficultés, les banques doivent faire face au quotidien à des travaux herculéens en matière de règlementations : les établissements européens traitant sur le marché commun doivent respecter des directives très strictes (MIFID, accords de Bâle…) mais ont aussi à s’adapter aux contraintes locales lorsqu’ils cherchent à traiter à l’international. Les pénalités en cas de non-respect étant – comme l’actualité nous le rappelle régulièrement – très importantes.
Comment les banques en sont arrivées là, comment tentent-elles d’en sortir et que pouvons-nous attendre comme changements majeurs dans les prochaines années ? Cet article reviendra modestement sur ces questions sans pour autant faire preuve d’un jugement de valeur sur des établissements parfois plusieurs fois centenaires et dont le rôle dans toutes les sociétés reste central.
#1 Une obligation à gagner en agilité
Agilité. Ce mot à la mode est dans la bouche de tous les managers. Que ce soit au niveau informatique ou métier, l’agilité est devenue depuis presque une décennie le mot magique, la formule de politesse à utiliser à chaque fin de phrase. Derrière ce terme on pourrait penser qu’il ne s’agit en réalité que d’une méthodologie de travail dont l’objectif premier est de faire travailler, autour d’un même projet, quelques protagonistes au nombre restreint et aux fonctions bien précises, chacun représentant l’ensemble des parties prenantes. Ce n’en est qu’une brève introduction.
Il s’agit en fait d’une culture où travailler ensemble s’entend moins autour d’un objectif long terme, que d’objectifs intermédiaires et tactiques, permettant d’évoluer justement au gré des contraintes changeantes afin de s’assurer que les moyens dépensés collent toujours au mieux à la réalité qu’ils doivent servir. Autrement dit, éviter de financer un projet dont les objectifs initiaux ont tellement changé que le projet n’a plus lieu d’être. Ainsi on demandera aux équipes IT de travailler main dans la main avec les équipes métiers sur des itérations plus régulières pour sortir, morceau par morceau, le projet initialement demandé et faire en sorte qu’il corresponde parfaitement aux attentes … même si celles-ci ont évolué en cours de route.
Pour cela il faut “désiloter” les organisations, rendre les cellules plus autonomes, réduire les délais de prise de décision, accepter l’erreur, le pivot et le stop lorsque nécessaire. Il faut en d’autres termes travailler dans un esprit startup alors que l’on se trouve dans des groupes de plusieurs dizaines voire centaines de milliers de collaborateurs. Une culture, là encore. L’objectif pourrait résider dans la mise en place plus rapide de nouveaux produits, dans la réduction des coûts de certains projets et dans la fédération des équipes autour du programme commun. Le but des banques est alors de savoir se mettre en ordre de marche pour réagir plus rapidement face à leurs concurrents de tous types : des GAFAM au Fintech en passant évidemment par les néo-banques et autres plateformes d’intermédiation de services financiers.
Nouveauté, ces concurrents ne se contentent plus de proposer des services simples à faible rentabilité, ils proposent désormais des produits plus complexes à plus forte valeur ajoutée qui étaient jusqu’à présent chasse gardée des banques traditionnelles. Un patron de banque française laissait entendre il y a quelques mois qu’il imaginait bien son établissement devenir bicéphale avec d’un côté une banque en ligne pour l’ensemble des tâches dites standard – car avec un coefficient d’exploitation bien inférieur à la moyenne du groupe – et de l’autre des établissements physiques pour maintenir le contact mais en proposant principalement des services proches de ceux offerts par les banques privées pour répondre aux attentes des clients. En résulterait alors la migration de toute l’activité retail classique vers l’une ou l’autre des entités. Et ce ne serait pas chose facile tant la différence de compétences est importante.
#2 L’omnicanal pour améliorer l’expérience client
Comme nous le constatons depuis plusieurs années, les établissements ferment peu à peu leurs agences bancaires et réduisent leur présence en physique. Ce phénomène est plus fortement observable chez certains que chez d’autres, mais tous suivent cette tendance. Frédéric OUDEA expliquait lors d’un passage au Cercle LesÉchos que les clients des banques ne s’y rendaient qu’une à deux fois par an et ce uniquement pour parler de projets importants tels que l’acquisition de biens immobiliers ou la constitution d’un patrimoine pour la retraite. Pourquoi donc garder autant d’agences ouvertes ? En revanche, les interactions entre les banques et les clients n’ont jamais été aussi importantes : la deuxième application mobile ouverte par les Français tous les matins est… leur application bancaire.
Face à ce constat les conclusions se tirent d’elles-mêmes : gardons le contact via les applications et outils numériques et rencontrons-nous pour les grandes occasions ou celles nécessitant une qualité d’information plus élevée que celle fournie par un chatbot. Une fois encore pour basculer complètement vers ce modèle il faut plus d’experts du numérique que de conseillers clientèle. Un travail titanesque attend les directions des ressources humaines qui sont de nouveau au cœur de la transformation digitale des entreprises.
#3 Un nouveau business model
Apple – dont la valorisation boursière est supérieure à celle de l’ensemble des sociétés du CAC40 – a débuté par des services de paiement et propose désormais des services financiers. Amazon, deuxième plus importante capitalisation boursière derrière la firme à la pomme, en propose également une pléiade. Si Apple ou Amazon disruptent le service bancaire occidental, ce n’est rien comparé à leurs homologues chinois – Alibaba en tête – dont le catalogue de services financiers n’a plus rien à envier aux services d’une banque traditionnelle. En Europe, le financement entre particuliers n’est plus réservé aux levées de fonds et même si les néobanques peinent à atteindre leur seuil de rentabilité (caractéristique type d’une startup), elles captent chaque trimestre de nouveaux clients. En devenant des usines dans lesquelles l’ouvrier qualifié est un ingénieur informaticien, les banques voient naître de nouvelles perspectives de développement. La première d’entre elles : devenir une plateforme de services, un vrai lieu de rencontre comme Amazon ou Cdiscount dans lequel elles peuvent mettre en relation et en confiance des acheteurs et des vendeurs. C’est d’ailleurs le principal atout d’une banque : la confiance qu’on lui accorde. Ces plateformes d’intermédiation existent déjà dans l’univers de la finance de marché mais devraient se développer pour la partie banque de détail.
Les banques ont également une quantité de données incommensurable qu’elles doivent stocker et qu’elles tentent d’exploiter au mieux pour faire naître de nouveaux produits ou anticiper certaines tendances (ndlr, une similitude surprenante avec le monde de la santé). Pour ce faire, leur plateforme de données doit être robuste et scalable tout en respectant des contraintes fortes en matière de législation. On pourrait imaginer un nouveau service proposé aux entreprises pour stocker leurs données sensibles dans les nouveaux coffres-forts virtuels. Sans oublier les cryptomonnaies que commencent à proposer les banques américaines et asiatiques et une multitude d’autres produits qui vont au-delà de l’abonnement téléphonique et de l’assurance habitation.
Enfin, il est fort à parier que dans la refonte de son modèle économique la banque devra intégrer, en profondeur, une dimension responsable et écologique. Il n’y aura pas de transformation réussie en vue de préparer l’avenir sans une volonté forte d’y intégrer le développement durable. Ne plus considérer ce facteur comme un poids mais comme une opportunité peut faire la différence et aider les banques à se réinventer.
Toutes ces mesures passent par une stratégie digitale forte avec des choix clivants et difficiles. Il ne sera pas possible de réussir ce challenge sans y engager l’ensemble des collaborateurs qui – plus que jamais – doivent se sentir partie prenante de ces ambitions nécessairement partagées. La concurrence est endémique mais vient aussi de plus loin. Les chaînes de valeur autant que les appétits s’étendent vers l’Asie, marché le plus dynamique. Les cours de bourse des banques françaises vont jusqu’à sanctionner certaines d’entre elles lorsque les marchés considèrent qu’elles sont trop en retard sur leur transformation digitale. Certaines cotations vont jusqu’à valoriser une banque moins que ses propres actifs. C’est un peu comme certaines usines dont les machines valent des millions mais que personne ne veut puisque les produits qu’elles manufacturent n’ont pas de débouchés.
La transformation doit s’accélérer. Améliorer sa vélocité, c’est un peu comme vouloir améliorer sa collaboration, son innovation ou son agilité, ce sont d’abord des éléments qui constituent une culture. Et contrairement aux outils informatiques, il ne suffit pas de les installer. Une culture se nourrit, se partage et s’encourage dans la durée et même si les décisions à prendre ne sont pas toujours faciles, nous avons encore en France de grands capitaines d’industries qui ont souvent pris l’habitude d’ouvrir la voie.
Rédigé par Olivier Chanoux, Co-founder de LumApps, éditeur d’une solution permettant aux entreprises de mettre en place un Intranet social et collaboratif. LumApps a levé 70 millions de dollars lors d’une série C menée par Goldman Sachs en janvier dernier ; et Sébastien Mazin-Pompidou, Client Executive Director chez Saegus.